Sens et non-sens de la réduction de vote de l'art 3.87-§7 Cc

Chaque syndic sait que l'Assemblée générale ne peut démarrer qu'après vérification de la liste de présence. Combien y a-t-il de copropriétaires présents et combien de quotités ces copropriétaires représentent-ils ? Si le double quorum de l'art 3.87-§5 Cc n'est pas atteint, l'AG ne peut tout simplement pas avoir lieu légalement. Le syndic doit alors convoquer une nouvelle AG, conformément à l'art 3.87-§5 du Code civil.

En pratique, il arrive souvent qu'un copropriétaire soit propriétaire de plusieurs lots. Nous n'entendons pas par-là spécifiquement différents "lots à part entière" ou appartements, mais aussi des lots plus petits avec des quotités diverse comme un débarras au sous-sol, une ou plusieurs caves, un ou deux garages... etc. Le copropriétaire peut-il donner des procurations distinctes (par lot) à des personnes différentes ?

Concrètement : peut-il ventiler ses procurations à des tiers par appartement, par cave, par garage ou emplacement de parking… ? Finalement quel avantage cherche-t-il à obtenir d'une telle stratégie … ?

Dans tous les cas, il est clair que détenir une grosse part des quotités d’un copropriété donne au copropriétaire la possibilité d'éviter des frais supplémentaires en votant contre certains travaux d'investissement.

Mais cela est surtout utile en cas de désaccords et de discussions lors de l’Assemblée Générale. Le copropriétaire de plusieurs lots, qui donne des procurations distinctes à des tiers pour chaque lot dont il est propriétaire, peut s'assurer ce faisant de la présence de deux ou plusieurs personnes qui le soutiennent en tout point. Par exemple : il pourrait donner procuration à un autre administrateur de biens, qui sera présent dans le but de promouvoir son propre bureau de gestion , ou pire de préparer une reprise de l’immeuble par son cabinet. Le copropriétaire en question peut également donner procuration à un avocat qui défendra sa position avec insistance, fort de son expertise et de ses qualités verbales. Parfois, le copropriétaire se permet d’être également présent lui-même pour un de ses lots! Non, ce ne sont pas des inventions, mais bien des exemples tirés de la réalité à laquelle un gestionnaire immobilier doit faire face au quotidien.

Nous savons que, conformément à l'art 3.87-1 du Code civil, un copropriétaire peut se faire assister par une personne de son choix, mais uniquement à condition qu'il en informe le syndic par lettre recommandée au moins quatre jours ouvrables avant la jour de l'assemblée générale. De plus, la loi sur la copropriété stipule que lors de l'assemblée générale cette personne "ne peut diriger les discussions ni les monopoliser"… Concrètement, cette personne doit donc se taire… ou tout au plus chuchoter à l'oreille du copropriétaire qu’elle accompagne… mais rien de plus. En tant que mandataire, en revanche, la prise de parole à haute voix est tout à fait autorisée.

Mais le copropriétaire de plusieurs lots peut aussi avoir une autre intention bien précise. En effet, en donnant des procurations distinctes à différentes personnes, il échappe à la règle de la réduction des votes. Nous citons ici l’art 3.87-§7 Cc : « Nul ne peut voter, pas même comme mandataire, pour un nombre de voix supérieur au nombre total de voix dont disposent les autres copropriétaires présents ou représentés ».

L’intention est bonne mais pas toujours faisable

Bien entendu, nous comprenons le législateur qui a tenté de trouver un équilibre entre les copropriétaires présents en assemblée générale.

Après tout, la copropriété est une petite démocratie basée sur une certaine séparation des «pouvoirs». Le Parlement (organe législatif) est constitué par l'Assemblée Générale, le gouvernement (pouvoir exécutif) est représenté par la personne du syndic, le Commissaire aux Comptes fait figure de Cour des Comptes, et chacun est tenu de se conformer à la constitution (les Statuts de l'immeuble).

Bref, un bâtiment est semblable à un petit pays, un microcosme de la grande réalité dans laquelle nous vivons au quotidien. S'il faut voter à l' assemblée générale, le législateur a prévu plusieurs majorités, et tous les copropriétaires doivent se conformer aux décisions de l' assemblée générale, qu'ils aient voté pour, contre ou qu'ils se soient abstenus. De même, les acomptes et autres contributions financières seront imposées à tous les copropriétaires, même s’ils ont voté contre certains travaux ou se sont abstenus.

Lors de l’assemblée générale, chacun vote en fonction des quotités dont il dispose ; un appartement ou un local commercial détiennent logiquement plus de quotités qu'un studio, par conséquent ils disposent de plus de voix et leur participation au vote est supérieure à celle d’un studio. C’est la raison pour laquelle la loi sur la copropriété a instauré le système de réduction des votes, selon lequel nul ne peut voter pour un nombre de voix supérieur au nombre total de voix détenues par les autres copropriétaires présents ou représentés.

Cette situation est assez courante dans des immeubles de petite et moyenne taille, où un copropriétaire possède plusieurs lots/appartements. Le législateur a tenté de limiter le vote de ce copropriétaire, afin qu'il n'ait jamais à lui seul la majorité à l' assemblée générale, et pour qu’il ne puisse jamais imposer sa volonté aux autres copropriétaires. En soi, le souci du législateur est légitime et son intention louable, mais malheureusement cette règle n’apporte pas de solution concrète dans un régime de copropriété où le même législateur a introduit une majorité de ½+1 !

De l'impasse à l’AG à la Justice de Paix

Les syndics le savent, l’application de l’art 3.87-§7 Cc conduit malheureusement ipso facto à une impasse durable au sein de l’ assemblée générale, puisqu’ aucune décision importante ne peut plus être prise… sauf sur certains points où il y aurait unanimité. Finalement, la réduction de vote génère une situation très malsaine qui donne lieu presque automatiquement à des oppositions et prises à partie.

Exemple : deux copropriétaires ne peuvent prendre des décisions qu’à l'unanimité des voix à assemblée générale. S'ils ne parviennent pas à s’entendre, l’un des deux copropriétaires est en droit de demander au Juge de Paix la nomination d'un administrateur provisoire. L'administrateur provisoire peut alors prendre une décision définitive à la place des copropriétaires

En cas de blocage des copropriétaires, la loi sur la copropriété a prévu quelques solutions :

1/ art 3.92-§5 Cc

Lorsque, au sein de l’assemblée générale, la majorité requise ne peut être atteinte, tout copropriétaire peut se faire autoriser par le juge à accomplir seul, aux frais de l’association, des travaux urgents et nécessaires affectant les parties communes.

Il peut, de même, se faire autoriser à exécuter à ses frais des travaux qui lui sont utiles, même s’ils affectent les parties communes, lorsque l’assemblée générale s’y oppose sans juste motif.

2/ art 3.92-§8 Cc

Lorsqu’une minorité de copropriétaires empêche abusivement l’assemblée générale de prendre une décision à la majorité requise par la loi, tout copropriétaire lésé peut également s’adresser au juge, afin que celui-ci substitue à l’assemblée générale et prenne à sa place la décision requise.

Mais très sincèrement et avec tout le respect dû aux juges de paix, nous ne pouvons pas toujours considérer comme bonnes les solutions apportées par la justice de paix; d'une part, parce qu’elles entraînent automatiquement des frais de procédure importants (frais d'avocat et éventuellement d'expertise), d'autre part parce que ces procédures peuvent être relativement longues. Enfin, chacun sait désormais qu'il y aura toujours un perdant qui rentrera chez lui mécontent et insatisfait...

Conseils de l’UDS

Avant de s’adresser au juge de paix, nous conseillons à chacun de faire appel à un médiateur agréé. (voir site de la Commission fédérale de médiation www.cfm-fbc.be).

La médiation et le dialogue conduisent à des solutions moins coûteuses et moins frustrantes. La loi sur la copropriété prévoit d’ailleurs à l'art. 3.85-5 l'application de la médiation comme mode de règlement des différends en copropriété.

Les tentatives d’évitement de la réduction de vote

Ces tentatives sont plus nombreuses qu’on ne me croit. Un de nos membres nous a transmis un exemple concret : dans un immeuble de 8 appartements, 6 appartements appartiennent à une indivision. L’indivision est composée de 4 personnes (3 sœurs et 1 frère). Les membres de cette indivision ont désigné un "représentant légal différent pour chaque lot, ce dans le but de "contourner" la réduction des votes. A l'assemblée générale, les mandataires désignés par l’indivision signent chacun séparément la liste de présence.

Le syndic de cette copropriété, réagit et leur rappelle qu’ils sont tous "mandataires" d’une même indivision et que par conséquent il doit impérativement appliquer la règle de la réduction de vote de l'art. 3.87-§7 du Code civil ; règle selon laquelle leur droit de vote doit être limité au nombre de voix détenues par les autres copropriétaires. Mécontents, ces copropriétaires ont ultérieurement porté plainte contre le syndic auprès de l'Institut Professionnel des Agents Immobiliers.

Nous penchons sur ce point en faveur du syndic. D’après nous les principes suivants s'appliquent ici et notre lecture en est la suivante :

a)    art. 3.87-§7 Cc : liberté de désigner un mandataire (par procuration) :

Tout copropriétaire peut se faire représenter par un mandataire, membre de l’assemblée générale ou non.. La loi énonce ici clairement le "copropriétaire" et non ses lots.

b)    Par ailleurs, le contrôle de la liste de présence en début d’assemblée générale pose un problème pratique. En effet, ces listes mentionnent le plus souvent tous les copropriétaires individuellement, avec la globalité de tous leurs lots respectifs, donc le total des parts que chaque copropriétaire représente.

Lorsque, le jour de l'assemblée générale, deux ou plusieurs personnes souhaitent signer la liste de présence en tant que représentants d'un seul copropriétaire, le syndic est confronté à quelques problèmes inattendus:

  1. la liste de présence devient subitement inutilisable ; où ces mandataires doivent-ils signer s'il n'y a qu'une seule ligne par copropriétaire ?
  2. pour le calcul du double quorum de présence, plus précisément le calcul du nombre de copropriétaires présents, le syndic devra t’il de son propre chef désigner arbitrairement un des mandataires présents ?
  3. la liste de présence indiquant toujours le total des quotités par copropriétaire, il n'y a donc aucun aperçu des quotités individuelles par lot. Il faudrait donc qu’en dernière minute le syndic fasse une recherche précise dans les statuts pour déterminer avec exactitude avec quelles quotités les mandataires pourront voter…

Nous ne croyons pas que telle était l'intention du législateur.

c)    Désignation d’un seul mandataire , art. 3.87-§7 Cc :

Cet article précise qu’en cas de division du droit de propriété portant sur un lot privatif (..) le droit de participation aux délibérations de l’assemblée générale est suspendu jusqu’à ce que les intéressés désignent la personne qui sera leur mandataire. 

Le mot " leur " étant au singulier , il nous semble évident que pour tous les lots appartenant à une copropriété, un seul mandataire doit être désigné. Le législateur parle ici clairement d'un/leur mandataire. Nous en concluons donc que l’attribution de différents lots à des mandataires distincts n'est pas souhaitée par le législateur.

Enfin, nous sommes persuadés que le législateur n'a pas pu souhaiter créer une situation absurde dans laquelle plusieurs mandataires distincts pourraient exprimer des votes contradictoires (oui, non et abstention) alors que ces personnes représentent un seul et même copropriétaire / copropriété.

Décision de l’IPI

De Uitvoerende Kamers van het BIV gaat na of de vastgoedmakelaars de naleven: “een erkend vastgoedmakelaar die het Plichtenleer niet naleeft, stelt zich bloot aan een tuchtsanctie.

​Au chapitre 1 art. 1 nous lisons : " Dans le cadre de l'exercice de la profession, les agents immobiliers se conforment également aux principes de dignité et de probité inhérents à la profession et respectent les dispositions légales et réglementaires qui concernent cet exercice, et notamment (…) 3° les dispositions du Code civil en matière de copropriété forcée d’immeubles ou de groupes d’immeubles bâtis et les arrêtés pris en exécution de ces dispositions. "

Dans ce dossier, l’IPI a décidé que le raisonnement du syndic était correct et a prononcé son acquittement. Nous nous réjouissons de cette décision et soutenons cette position.

Voici quelques conseils de l’UDS pour le syndic :

1/ Un copropriétaire (ou une indivision) ne peut donner qu'une seule procuration pour l'ensemble des lots en sa possession. Ceci est d’ailleurs conforme à la loi sur la copropriété qui prévoit que le mandat est lié à la personne du copropriétaire et non lié à la parcelle. voir Code civil Art 3.87-§7.

Il est donc important que, dans le cas où plusieurs mandataires se présenteraient inopinément pour représenter un même copropriétaire (indivision), le syndic applique immédiatement la réduction de vote si nécessaire dans cette copropriété. Il devrait en ce cas demander aux mandataires présents de désigner eux-mêmes, comme la loi l’impose, leur mandataire unique pour représenter le mandant / l’indivision.

2/ Une procuration est définie comme suit : « une déclaration écrite, par laquelle quelqu'un autorise une autre personne à accomplir certains actes juridiques en son nom ». On y retrouve l’aspect de remplacement d’une « personne » et non d’un bien. Par ailleurs, juridiquement, la procuration est donc conçue comme une forme de remplacement ; c'est pourquoi cette présence, avec les mandataires, n'est pas autorisée.

Le copropriétaire qui donne procuration à un tiers, ne peut donc être présent à l'AG ni pour représenter un autre de ses lots privatifs, ni en tant que représentant d'un autre copropriétaire.

3/ Appliquez toujours la réduction de voix si la situation se présente dans laquelle un copropriétaire a plus de voix que le reste des copropriétaires présents.

4/ pour éviter les impasses dans la prise de décision :

  • fournir à l’avance le maximum d'informations sur la décision à prendre et les
    avantages pour l’ACP
  • rechercher un consensus au sein de l’assemblée
  • si les tensions sont fortes, mettre l'accent sur le parcours inévitable vers le juge de
    paix et les coûts associés


INFO

Dominique Krickovic
Directrice UVS
Présidente UDS
Expert assermenté en copropriété (Kavex)

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