Inconvénient personnel ou abus de droit ?

​Le principe de base de la Copropriété est que l'assemblée générale est un organe souverain. Toutefois, les décisions prises en assemblée générale ne peuvent déroger à la loi ou aux statuts de l'immeuble (acte de base et règlement de copropriété).

En tant qu'organe de l’ACP, le syndic est chargé de la préparation complète de l'AG. La préparation de l'AG est l'une des tâches les plus importantes du syndic car la validité des décisions dépend de nombreux facteurs ; envoi de la convocation aux copropriétaires dans les délais impartis, formulation claire des points à l'ordre du jour... etc. La loi oblige également le syndic à mettre tous les documents à la disposition des copropriétaires afin qu’ils participent au processus décisionnel en toute connaissance de cause. Les copropriétaires doivent s'informer clairement et suffisamment à l'avance des propositions faites et des points à l'ordre du jour.

​En outre, ils ont le droit de se faire conseiller ou assister eux-mêmes à l'AG par « une personne, à condition d’en avertir le syndic par lettre recommandée au moins quatre jours ouvrables avant le jour de l'assemblée générale ». 

Bref, une décision réglementaire de l’AG prise lors d’une AG réglementaire est légalement valable et exécutoire. Néanmoins, les copropriétaires et autres résidents bénéficient d'une protection juridique s'ils ne sont pas d'accord avec la décision de l'AG. 

​Délai de péremption de 4 mois

​Le copropriétaire/locataire qui souhaite contester une décision de l'ACP doit agir dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle l'assemblée générale a eu lieu. Une décision ne peut être attaquée que par une citation devant le juge de paix contre l’ACP et uniquement l’ACP (et non pas contre le syndic). Si la demande n'est pas déposée à temps, le délai expirera, de sorte que la demande ne sera plus recevable devant la Justice de paix. Ce délai n'est susceptible ni de suspension ni d'interruption. 

​En outre le recours est soumis à un certain nombre de conditions importantes ; 

  1. La décision contestée doit avoir des effets juridiques. Depuis l'arrêt de Cass. 18 février 2010, C.08.0591. Il n'y a de décision que si la décision est prise par l'assemblée générale et si cette décision entraîne des conséquences juridiques pour les copropriétaires et/ou pour les tiers ; la décision de l'assemblée générale de consulter les copropriétaires et de les faire voter ultérieurement par correspondance sur une offre d'achat d'une partie des parties communes de l'immeuble n'est qu'une décision préalable.

  2. Elle ne peut être contestée que par un copropriétaire qui a consenti à la décision, sauf si ce consentement est affecté d'un vice de volonté (notamment erreur ou dol).

  3. Il doit s'agir d'une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive,

  4. Le copropriétaire ou le locataire doit pouvoir justifier d'un préjudice personnel

​Art 3.92-§3: " Tout copropriétaire peut demander au juge d’annuler ou de réformer une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive de l’assemblée générale si elle lui cause un préjudice personnel. Cette action doit être intentée dans un délai de quatre mois, à compter de la date à laquelle l’assemblée générale a eu lieu."

Art 3.93-§5-2°: " … Toute personne occupant l’immeuble bâti en vertu d’un droit personnel ou réel mais ne disposant pas du droit de vote à l’assemblée générale, peut cependant demander au juge d’annuler ou de réformer toute disposition du règlement d’ordre intérieur ou toute décision irrégulière, frauduleuse ou abusive de l’assemblée générale adoptée après la naissance du droit, si elle lui cause un préjudice propre." 

Une décision irrégulière est celle qui par exemple a été prise avec violation de la loi sur la copropriété ou des statuts, telle qu'un problème de convocation, ou de composition/représentation de l'assemblée générale ; un vote sur un point ne figurant pas à l'ordre du jour ; une violation des règles de la majorité…etc

Une décision frauduleuse est une décision de forme régulière mais fondée sur une fraude (fraus omnia corrumpit) ou un abus de pouvoir tel qu'une omission coupable ou l'absence d'informations sur une tâche ou un travail particulier

Une décision abusive est une décision prise en violation d'une règle ou d'un règlement légal et par conséquent non conforme aux normes , telle que la décision d'ériger une balustrade qui n'est pas sûre et qui ne se conforme pas aux normes légales ; la décision prise avec la seule intention de nuire ; la décision prise sans intérêt raisonnable et suffisant, tout en causant un dommage ; la décision prise avec abus de majorités … etc. 

​Préjudice personnel

Depuis la loi du 07.VI.2018, art.171/3, int. 01.I.2019) l'article 3.92-§3 a été modifié avec un ajout important. Dans les conditions énoncées ci-dessus, un copropriétaire peut demander au tribunal d'annuler une décision d’AG, mais il doit désormais démontrer que cette décision lui cause un préjudice personnel. Ce préjudice personnel est cumulatif avec l'une des trois autres conditions ; la décision en question doit être irrégulière, frauduleuse ou abusive.

L'intention du législateur était, entre autres, d'empêcher les abus de droit. Summum ius summa iniuria, " l'application excessive du droit conduit à l'injustice " (Cicéron). 

​Il y a abus de droit lorsque quelqu'un exerce un droit en dépassant les limites de l'usage raisonnable de ce droit avec l'intention exclusive de nuire à autrui.

Le livre 1 du Code civil contient un certain nombre de notions fondamentales en droit civil, dont l'abus de droit. Art. 1.10 du Livre 1 dit : " Nul ne peut abuser de son droit. Commet un abus de droit celui qui l'exerce d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances. La sanction d'un tel abus est la modération du droit à son exercice normal, sans préjudice de la réparation du dommage causé par l'abus." En fait, cela correspond à toute la jurisprudence à ce sujet depuis l'arrêt historique de cassation du 10/9/71. 

​Nous pensons qu’une telle exigence légale est tout à fait légitime. Finalement, il semble logique de ne permettre qu'aux copropriétaires lésés de contester une décision. Après tout, pourquoi un copropriétaire contesterait-il une décision s'il ne subit personnellement aucun désavantage du fait de cette décision ? Et s'il n'est pas défavorisé, quelle est sa motivation sous-jacente pour intenter une action en justice contre l’ACP ? Pour nuire à l’ACP ? Se venger des autres copropriétaires ou du syndic ? 

L'ajout du désavantage personnel est bien entendu un soulagement pour la plupart des syndics, qui généralement par prudence attendent le plus souvent l’expiration du délai de 4 mois après la date de l'assemblée avant même de commencer à exécuter les décisions de l'AG. Mais la probabilité d’une contestation se trouve désormais réduite. 

​Le préjudice personnel versus principe de proportionnalité

Comment évaluer le préjudice personnel et quel montant pourra t’il être considéré comme correspondant réellement au préjudice vécu ? 

Le juge de paix a récemment statué qu'une contestation du décompte annuel des exercices antérieurs était contraire au principe de proportionnalité parce que "les documents présentés ont montré que le demandeur ne devait payer pour l'année comptable 2020 qu’un montant total de 160,65 € (!)” (décompte approuvé par l’AG).

​En revanche, il ressort de PV précédents qu'il ne s'agit pas tant du montant dû que d’une simple question de principe.

Le demandeur semble avoir complètement oublié que cette question de principe coûte beaucoup de temps et d'énergie aux autres (notamment à l’ACP), et que le coût de la procédure est un multiple de la somme annuelle qu'il doit payer. 

En résumé, le tribunal "ne pouvait que conclure que le demandeur ne subissait pas le préjudice personnel requis et que la demande constituait un abus de droit compte tenu de l'absence totale de proportionnalité".

Conclusion

Il semble donc que le principe de proportionnalité fasse son entrée en copropriété, ce que nous accueillons favorablement car il introduit un sens de la mesure qui contribuera certainement à plus de réflexion avant d’engager une procédure contre l’ACP. Reste à évaluer si le délai de péremption quatre mois est toujours compatible avec la réalité ou s’il ne constitue pas un frein pour le syndic à l’application des décisions d’AG dans un délai raisonnable. Ne serait-il pas plus sage de le réduire à un strict minimum ?

INFO

Dominique Krickovic 
Directrice UVS (Unie van Syndici vzw) 
Présendente UDS (Union des Syndics asbl) 
Expert agréé en Copropriété (Kavex asbl)

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