Utilisation de l'article 3.82 § 2 Cc pour les économies d'énergie : la bonne voie ou l'impasse?

1.   Introduction

L'article original 577-2 § 10 de l'ancien Code civil 3.82 du Code civil stipulait que 'dans le cadre de l'alinéa 9' il est loisible à chacun des copropriétaires de modifier à ses frais le bien indivis, pourvu qu’il n’en change pas la destination et qu’il ne nuise pas aux droits des autres copropriétaires.

En général, deux principes pouvaient être tirés de ce précepte.

Le premier impliquait que le copropriétaire était autorisé à apporter des modifications mineures à sa partie privative sans l'accord des autres copropriétaires, mais à la seule condition de ne pas mettre en danger les parties communes au sein de son lot en y apportant des modifications structurelles; par exemple, il ne peut déplacer un mur de soutènement mitoyen de son appartement ou ajuster l'aspect architectural au niveau de la façade de son lot.

Le deuxième principe impliquait que les modifications des parties communes par un copropriétaire ne devaient pas être de nature à constituer un obstacle pour les autres copropriétaires, par exemple l'occupation illégale d'un couloir commun à usage privé.

2.   Reduction des obstacles avec le "droit unilatéral de modifier les parties communes"

Dans le nouvel article 3.82 § 2 du Code civil, le législateur propose une réglementation qui réduit les obstacles à la modification de, dans ou sur les parties communes.

Celle-ci est formulée comme suit :

"§ 2. En outre, les copropriétaires individuels et les opérateurs de service d’utilité publique agréés ont légalement et à titre gratuit le droit d’installer, d’entretenir ou de procéder à la réfection de câbles, conduites et équipements y associés dans ou sur les parties communes, dans la mesure où ces travaux ont pour but d’optimaliser l’infrastructure pour le ou les propriétaires et utilisateurs des parties privatives concernées dans le domaine de l’énergie, de l’eau ou des télécommunications et dans la mesure où les autres copropriétaires individuels ou, le cas échéant, l’ACP ne doivent pas en supporter les charges financières. Celui qui a installé cette infrastructure pour son propre compte reste propriétaire de cette infrastructure qui se trouve dans les parties communes ".

Selon le législateur, ce règlement vise à "donner aux copropriétaires un accès plus souple aux ressources modernes d'énergie et de télécommunications" [1] .

3.   Définition des câbles, conduites et équipements y associés

Le champ d'application de l'article 3.82 § 2 du Code civil s'étend à l'installation, à l'entretien et au renouvellement des "câbles, conduites et équipements y associées". 

En général, un câble est une gaine qui s'emmanche autour d'un ou plusieurs conduits, tandis qu'un tuyau sert soit à évacuer les eaux pluviales, les eaux de gouttière et les matières fécales, soit à transporter du gaz, de l'eau, de l'électricité ainsi que des signaux audio, téléphoniques et vidéo.

L'article 3.82 § 2 du Code civil est spécifiquement adapté à cette dernière partie, car le texte fait référence à des travaux qui visent à optimiser l'infrastructure pour le propriétaire ou les propriétaires et utilisateurs des lots concernés dans le domaine de l'énergie, de l'eau ou des télécommunications '.

En d'autres termes, les conduites doivent être destinées soit au transport d'énergie ou d'eau d'une part, soit à la transmission d'impulsions et/ou de données relatives à informatique, multimédia, réseaux, téléphone, etc . d' autre part. 

Le terme "équipements y associés" n'a hélas pas été défini par le législateur, malgré la demande du Conseil d'État [2] .

Ce dénominateur peut inclure les accessoires, installations, équipements et travaux qui sont liés à l'infrastructure de câbles et de canalisations afin de les exploiter de manière efficace et fonctionnelle, par exemple l'ajout d'une antenne pour transmettre les signaux, d'une prise pour faire fonctionner le point de charge, d' une gaine pour supporter le câble, d'un coffret pour encastrer une console ou un tableau de commande, d'un coffret compteur pour enregistrer les unités consommées, d'un tubage vide pour faire passer un câble, etc.

4.   Qualification des câbles, tuyaux et installations associées

Les câbles et conduites d'un immeuble à appartements sont normalement considérés comme des parties communes [3]; les équipements y associés suivent naturellement la qualification du donneur d'ordre et sont donc également communs.

Ces matières étant en général considérées comme des parties communes, rien ne peut, en principe, être modifié sans l’accord de l'ACP.

En outre, toute superstructure, sous-structure ou adjonction aux parties communes est interdite, sauf autorisation de l'assemblée générale dans les conditions fixées par celle-ci [4].

Afin de répondre à la nécessité pour chacun d'être en phase avec les nouvelles constructions et les évolutions technologiques, le législateur accorde aux copropriétaires individuels et aux exploitants de services publics un droit légal de modification dans ou sur les parties communes, qui pourrait être considéré comme un "droit unilatéral pour changer les parties communes".

5.   Conditions fondamentales d'application du "droit unilatéral de modification des parties communes"

Afin de pouvoir invoquer le " droit unilatéral de modifier les parties communes ", une condition explicite est imposée tant du côté de l'actif que du côté du passif.

D'une part, les travaux doivent viser à "optimiser l'infrastructure pour le ou les propriétaires et usagers des parties privatives concernées en matière d'énergie, d'eau ou de télécommunications".

En revanche, les autres copropriétaires individuels ou, le cas échéant, l’ACP "ne peuvent en supporter aucune charge financière".

Les deux intérêts devront donc être pris en compte dans l'évaluation.

6.   Les bornes de recharge pour les véhicules électriques comme exemple de type d'installations associées

Lors de la publication du nouvel article 3.82 § 2 du Code civil, le législateur a pris en compte la croissance attendue de la conduite électrique et a gardé à l’esprit les intérêts du secteur automobile avec les bornes de recharge électrique pour les véhicules, comme exemple type du " droit unilatéral de modification des parties communes " [5].

Les véhicules électriques s’entendent comme les voitures, les vélos et les scooters.

Les véhicules électriques, également appelés véhicules rechargeables ou plug-ins, doivent bien entendu utiliser des bornes de recharge qui ont été installées et qui disposent d’une ou plusieurs prises.

Le véhicule peut être branché en connectant le véhicule électrique à la fiche ou à la prise.

7.   Procédure de notification

Pour pouvoir faire usage de son " droit unilatéral de modification des parties communes ", le copropriétaire individuel ou l'exploitant agréé doit suivre une procédure de notification.

L'obligation de notification est une conséquence du "droit unilatéral de modifier les parties communes" et offre l'avantage que le copropriétaire individuel ou l'exploitant du service public n'a plus à attendre longtemps le décideur, c'est-à-dire les copropriétaires ou l’assemblée générale de l’ACP.

Il doit uniquement signaler son intention, soit au moins deux mois avant le début des travaux, par courrier recommandé à tous les copropriétaires ou, au syndic s'il existe, avec mention de l'adresse de l' expéditeur et une description des travaux envisagés.

8.   Attitude des autres copropriétaires et/ou association de copropriétaires

A l'égard de cette notification, les copropriétaires ou l'ACP peuvent adopter diverses attitudes [6].

    A.   Réalisez vous-même les travaux collectivement

La première option est que les copropriétaires ou l'ACP, conformément à l'article 3.82 § 2 du Code civil, informent l'expéditeur qu'ils réaliseront collectivement les travaux d'optimisation de l'infrastructure, afin que tous les copropriétaires soient impliqués.​

Cela peut être lié à l'environnement bâti d'une copropriété ou d'un immeuble à appartements, soit parce qu'un parking extérieur commun est disponible, soit parce que le positionnement de l'infrastructure de recharge dans ou à l'entrée commune du parking souterrain est beaucoup plus accessible que l'accès à un garage privé, ou avec le fait que d'autres copropriétaires, qui visent la réduction des coûts, souhaitent également participer à l'infrastructure.

Dans ce cas, les autres copropriétaires ou l'ACP doivent informer le copropriétaire individuel et/ou l'exploitant (= le demandeur initial) de leur intention de la manière prévue à l'article 3.82 § 2 du Code civil.

Les travaux - c'est-à-dire l'installation d'une borne de recharge, l'installation d'une prise avec connecteurs, l'adaptation de la capacité du réseau au nombre d'utilisateurs potentiels, l'installation de compteurs intermédiaires pour pouvoir mesurer la consommation électrique du conducteur EV [7] - doit, le cas échéant, commencer dans les six mois suivant la réception de la lettre recommandée visée au présent paragraphe.

    B.   S’opposer aux travaux proposés

            a.    Principe

Une deuxième possibilité est que, sous peine de déchéance de leurs droits, les copropriétaires ou, le cas échéant, l'ACP, communiquent au copropriétaire individuel ou à l'exploitant agréé, dans un délai de deux mois à compter de la réception de la lettre recommandée, leur opposition aux travaux projetés.

Pour ce faire, il faut obligatoirement envoyer un courrier recommandé à l'expéditeur et invoquer un intérêt légitime.

Un intérêt légitime naît dans les situations suivantes [8]:

  • il existe déjà une telle infrastructure dans les parties communes concernées de l’immeuble, ou;
  • l’infrastructure ou les travaux de réalisation de celle-ci provoquent d’importants dommages relatifs à l’apparence de l’immeuble ou des parties communes
  • aucune optimalisation de l’infrastructure ne résulte des travaux envisagés ou les travaux envisagés alourdissent la charge financière des autres copropriétaires ou utilisateurs.

        b.    Recours ultérieur devant le tribunal

Dans le cadre de l'article 3.82 § 2 du Code civil, les exigences procédurales se limitent à l'envoi d'un «courrier recommandé » d'une partie à l'autre.

La question est cependant de savoir ce qui se passe lorsque la « contrepartie », c'est-à-dire les « copropriétaires individuels et les opérateurs de services publics reconnus » ou les « autres copropriétaires individuels ou l'ACP », respectivement, contestent la légitimité de l'autre intérêt .

On peut supposer que toute partie intéressée peut, le cas échéant, s'adresser au juge de paix, en ce qui concerne sa compétence sur base de l'article 591, 2° Code Jud. en cas de copropriété forcée en général ou de l'article 591, 2°bis Code Jud en cas de copropriété forcée d'immeubles ou d'ensembles d'immeubles, et, sur le fond, dans le cadre de l'article 3.82 § 2 Cc.

    C.     Accepter les travaux proposés par le copropriétaire individuel ou l'opérateur reconnu

En troisième possibilité, les copropriétaires ou l'ACP ne peuvent s'opposer aux travaux proposés.

Dans ce cas, le copropriétaire individuel ou l'exploitant agréé doit s'engager, conformément à l'article 3.82 § 2 du Code civil, à exécuter les travaux de la manière qui cause le moins de désagréments aux résidents.

Cela signifie que les travaux doivent être réalisés dans le respect des règles de responsabilité et de l'interdiction des nuisances excessives du voisinage.

De plus, dans l'exécution des travaux, des consultations doivent être faites de bonne foi avec les autres copropriétaires ou, s'il y a syndic, avec ce dernier.

Les autres copropriétaires ou, s'il existe le syndic, sont le droit de suivre les travaux et demander à tout moment des informations au copropriétaire ou à l'exploitant concerné [9].

9.  Panneaux solaires légalement exclus du champ d'application

S'agissant des panneaux solaires, le législateur a précisé que, si cette installation conduit naturellement à des économies d'énergie [10], il ne saurait être question du " droit unilatéral de modification des parties communes ".

La raison invoquée est que l'installation de panneaux solaires peut non seulement occasionner un désavantage à l'usage des parties communes [11], mais également générer un profit qui doit revenir à la copropriété.

Ainsi, si un copropriétaire ou un exploitant souhaite se voir octroyer le droit d'installer un panneau solaire sur une partie commune, l'assemblée générale doit lui en donner l'autorisation, ce qui requiert une majorité des quatre cinquièmes des voix [12].

10.   La jurisprudence récente est réfractaire

    A.   Pompes à chaleur exclues

Dans un jugement du 25 mai 2022, le juge de paix du deuxième canton d'Ostende [13] a jugé que l'initiative d'un copropriétaire d'installer individuellement une pompe à chaleur est une bonne initiative, mais que l'intérêt de la copropriété prime. 

En principe, les parties communes servent l'intérêt collectif des copropriétaires. Il n'appartient pas à un copropriétaire particulier, de grever sans l'autorisation de l'assemblée générale, une partie commune dans un intérêt privé.

    B. Climatisation également exclue

Dans un arrêt du 07 février 2022, le juge de paix de Brasschaat [14] a jugé que "la demande d'un copropriétaire d'installer un système de climatisation sur la terrasse de son appartement n'est pas recevable car une unité extérieure modifie la vue de l'immeuble depuis la rue et des parties communes".

De plus, la climatisation crée des nuisances sonores que les autres copropriétaires n'ont pas à tolérer.

Dans le même ordre d'idées, un jugement du 16 février 2022 du tribunal de première instance de Louvain [15] a jugé irrecevable "la demande d'un copropriétaire de percer un mur mitoyen en vue d'installer un climatiseur en raison de l’incidence sur l'aspect général du bâtiment et également en raison des nuisances sonores".

11.   Invoquer l'article 3.92 § 5 Cc

Une solution alternative pour un copropriétaire consiste à invoquer l'article 3.92 § 5 premier alinéa du Code civil, qui prévoit que si la majorité requise ne peut être obtenue lors de l'assemblée générale, chaque copropriétaire peut demander au tribunal l'autorisation d' effectuer des travaux urgents et nécessaires sur les parties communes aux frais de l'ACP.

Au deuxième alinéa il est précisé qu'il peut également demander l'autorisation d'effectuer à ses frais les travaux qu'il juge utiles, même dans les parties communes, si l'assemblée générale s'y oppose sans motif valable.

La question de savoir si un juge autorisera ou non un copropriétaire à installer des panneaux solaires sur le toit, se fera donc au cas par cas.

12.   Qu'en est-il du locataire ?

L'article 3.82 § 2 alinéa 1 du Code civil stipule que le droit d'effectuer des travaux de transformation pour l'optimisation de l'énergie, de l'eau ou des télécommunications est réservé uniquement aux copropriétaires individuels et aux opérateurs de services publics reconnus.

Dans ce cas spécifique, le locataire d'un appartement a été laissé pour compte. Le cas échéant, il a des droits dans sa relation juridique avec son bailleur [16]. Si nécessaire, les parties peuvent conclure elles-mêmes des accords adaptés à la diminution de la consommation d'énergie.

Selon les cas, une convention de durabilité peut être établie, dans laquelle le bailleur s'engage à effectuer des travaux de rénovation à l'avance, à condition que le locataire accepte une augmentation de loyer, ou une convention de rénovation, dans laquelle le locataire s'engage à effectuer des travaux de rénovation contre une exonération du loyer pendant un certain temps.

INFO

Me Roland Timmermans
Advocat en Rédacteur en chef
Revue copropriété et droit immobilier

Références

[1] Verslag eerste lezing namens de Commissie voor de Justitie van de Kamer , uitgebracht door mevrouw Ozlem Ozen , Parl. St. Kamer , zitting 2017 – 2018 , nr 2919 van 9 mei 2018 , Memorie van Toelichting , 197 , in fine  

[2] Advies van de Raad van State bij het wetsontwerp van 5 februari 2018 houdende diverse bepalingen inzake burgerlijk recht en houdende wijziging van het Gerechtelijk Wetboek met het oog op de bevordering van alternatieve vormen van geschillenoplossing , Parl. St. Kamer , zitting 2017 – 2018 , nr 2919/001 ,  537

[3] G. GIL , Les canalisations en copropriété , I.R.C januari februari 2014 , 17

[4] Zie verder : R. TIMMERMANS , Handboek appartementsrecht , Mechelen , Wolters Kluwer , 2022  , 262 e.v. met uitgebreide casuïstiek

[5] Memorie van Toelichting , oc , 198 , alin. 2

[6] Bedoeld is degene die mede-eigenaar is in het geval van gedwongen mede-eigendom of degene die verkeert in het geval dat de appartementseigendom is uitgesloten met toepassing van artikel 577-3 eerste lid B.W.

[7] De mede-eigenaars , die geen gebruik maken van een oplaadpunt , moeten uiteraard niet tussenkomen in de kosten van installatie en werking van de oplaadpaal 

[8] Art. 3.82 § 2 lid 4 B.W.

[9] Art. 577-2 § 10 , lid 7 in fine B.W.

[10] J. HAINAUT , Tirer avantage de son toit , I.R.C. januari februari 2016 , 3”

[11] Memorie van Toelichting , Parl. St. Kamer 2017-18 , nr 2919 van 9 mei 2018 , oc , 198 , alin. 2

[12] Memorie van Toelichting , oc , alin. 3

[13] T. App. 2022 nr 1487

[14] T. App. 2022 nr 1478

[15] T. App. 2022 nr 1482

[16] R. TIMMERMANS , Kan de huurder in beweging komen tegen de verhuurder om van hem verduurzamingswerken aan de huurwoning af te dwingen ? , Huur 2022/2 , 75.

Nos blogs

PARTAGER


 



Art 3.94 Cc : avez-vous bien pensé à tout ?