Le Règlement d’ordre intérieur 2.0 et la responsabilité du syndic

1. Il n’y a pas si longtemps encore, le Règlement d’ordre intérieur n’avait d’autre objet que la compilation des règles de savoir-vivre ensemble que les copropriétaires avaient jugé utile d’instaurer : fermer la porte de l’immeuble à clef après 22 heures, ne pas utiliser l’ascenseur pour le déménagement, ne pas entreposer d’objets sur les terrasses, mettre des pantoufles lorsqu’on marche sur un parquet, etc. Ces règles étaient les plus diverses et variaient considérablement d’un immeuble à l’autre, à tel point d’ailleurs que la lecture d’un règlement d’ordre intérieur permettait de savoir ce qui préoccupait les copropriétaires dans leur rapport à leurs voisins et, par-là, de deviner à quel type de résidence on avait affaire.

Et il était assez amusant de constater que si, dans certains immeubles, les copropriétaires se souciaient de la manière dont les rosiers devaient être taillés, il était nécessaire, dans d’autres, de préciser qu’il est interdit de cracher par terre…

Le Règlement d’ordre intérieur n’était en tout état de cause pas obligatoire, la loi se bornant à préciser que s’il en existait un, il pouvait être établi par acte sous-seing-privé.

La loi de 2018 a changé la donne.

2. Tout d’abord, le Règlement d’ordre intérieur est désormais obligatoire (article 577-3, al. 2).

Il ne fait pour autant pas partie des statuts puisque, selon l’article 577–4, § 1er du Code civil, ceux-ci sont constitués de l’Acte de base et du Règlement de copropriété.

Ceci a son importance puisque, étranger aux statuts, les modifications qui devront y être apportées par l’assemblée générale pourront être décidées à la majorité absolue et non à la majorité qualifiée exigée par l’article 577-7. Ainsi par exemple, par le passé, modifier la période de réunion annuelle de l’assemblée exigeait une majorité de 75 % puisque c’est le Règlement de copropriété qui précisait cette période ; la modification peut désormais se décider à la majorité absolue.

Seule exception au tableau : le montant des marchés des contrats à partir duquel la mise en concurrence est obligatoire, qui doit figurer dans le Règlement de l’intérieur mais qui doit être fixé par une décision de l’assemblée prise à la majorité des deux tiers (article 577-7, § 1er, 1°, d).

3. Ensuite, la loi impose désormais le contenu du Règlement d’intérieur ou, à tout le moins, précise de ce qu’il doit nécessairement comporter, à savoir :

  • les règles relatives au mode de convocation, au fonctionnement et aux pouvoirs de l’assemblée générale ;
  • le montant des marchés et des contrats à partir duquel une mise en concurrence est obligatoire (si l’assemblée a voté ce montant) ;
  • le mode de nomination du syndic, l’étendue de ses pouvoirs, la durée de son mandat et les modalités de renouvellement de celui-ci, les modalités du renon éventuel de son contrat, ainsi que des obligations conséquentes à la fin de sa mission ;
  • la période annuelle de quinze jours pendant laquelle se tient l’assemblée générale ordinaire de l’association des copropriétaires ;
  • les compétences du commissaire aux comptes.

4. Ainsi, à côté de son contenu traditionnel tel qu’il a été rappelé plus haut et qui demeure naturellement, le Règlement d’ordre intérieur intègre désormais un certain nombre de dispositions qui faisaient antérieurement partie du Règlement de copropriété.

De ce glissement, il résulte que le Règlement d’ordre intérieur revêt aujourd’hui une importance qu’il n’avait pas auparavant.

Or, on sait que le syndic a des obligations au regard du Règlement d’ordre intérieur. Il doit en particulier le tenir à jour et il y intégrer les modifications décidées par l’assemblée générale mais il doit aussi l’« adapter si les dispositions légales qui s’appliquent sont modifiées, sans avoir besoin pour ce faire d’une décision préalable de l’assemblée générale ».​

Cette dernière obligation est nouvelle et a été édictée par la loi de 2018. On aurait tort d’en sous-estimer l’importance car elle me paraît constituer une source particulièrement pernicieuse de responsabilité pour les syndics.

5. On pourrait en effet d’abord penser qu’elle n’est pas bien contraignante puisqu’aussi bien, la loi précise ailleurs que « les dispositions statutaires ou les dispositions du règlement d’ordre intérieur non-conformes à la législation en vigueur sont de plein droit remplacées par les dispositions légales correspondantes à compter de leur entrée en vigueur » (article 577-14).

Quel syndic ne se dira pas : pourquoi se casser la tête à modifier le règlement alors que si la loi change, l’adaptation sera automatique et nul n’est censé ignorer la loi ?

… si ce n’est que l’adage nul n’est censé ignorer la loi procède d’une fiction et que, dans une copropriété, c’est le Règlement d’ordre intérieur qui constitue la source officielle lorsqu’il est question des informations que la loi lui impose de contenir.

Ainsi, qu’un copropriétaire vienne à être trompé par un règlement erroné et il pourra engager la responsabilité du syndic a raison du dommage que cette erreur lui aura causé.

On pense par exemple à un propriétaire induit en erreur par une disposition obsolète du règlement relative au mode de convocation de l’assemblée et qui, en raison cette erreur, n’aurait pas pu assister à la réunion ou qui, considérant à tort que l’assemblée était mal convoquée, aurait engagé de manière téméraire une action en annulation de ses décisions.

6. Ensuite, si l’adaptation du Règlement d’ordre intérieur consécutive aux modifications que l’assemblée a décidées ne présente a priori aucune difficulté, il n’en ira pas nécessairement de même pour celle qui sera exigée par la modification des dispositions légales. Car outre que, dans son principe, l’analyse et l’interprétation d’un texte de loi sont de la compétence des professionnels du droit – ce que le syndic n’est pas – le fait est qu’il est devenu bien rare aujourd’hui qu’un texte de loi nouveau soit si limpide et bien rédigé que sa compréhension exacte soit à la portée immédiate de tous; et la loi sur la copropriété ne fait certainement pas figure d’exception dans ce sinistre tableau…

Partant, que fera le syndic lorsque la loi changera ? Se risquera-t-il à modifier immédiatement le Règlement d’ordre intérieur comme il en a l’obligation, et à commettre une erreur de droit dont il devra assumer les conséquences, ou tardera-t-il à adapter le règlement dans l’attente d’un avis autorisé ou d’une décision de l’assemblée générale, exposant alors autrement sa responsabilité ?

7. Je pense que le législateur n’a (une fois de plus) pas mesuré les conséquences pratiques des nouvelles dispositions qu’il adoptait mais il est en tout cas certain, de mon point de vue, que le principe de précaution commande que le syndic ne procède aux modifications du Règlement d’ordre intérieur que lorsqu’il ne nourrit aucun doute sur leur portée ; qu’inversement, lorsqu’il hésitera, il sera bien avisé de solliciter l’avis d’un juriste spécialisé dans le droit de la copropriété.

INFO

Dhr Eric RIQUIER
Avocat (IURIS AVOCATS)
Professeur à la Solvay Brussels School of Economics & Management (ULB)

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