Quelques conséquences pratiques pour les syndics, de l’annulation par la Cour constitutionnelle de la disposition relative à la démolition dans la législation sur la copropriété

Par jugement du 20 février 2020, la Cour constitutionnelle a annulé la disposition de la loi qui permettait à l’assemblée générale d’une association de copropriétaires de statuer légalement, à la majorité des quatre cinquième, sur la démolition et / ou la reconstruction complète d’un immeuble d’habitation et d’un immeuble commun et qui autor isait par conséquent au propriétaire de renoncer à son lot selon des modalités et conditions précises. Les conséquences pratiques de cette annulation, ne sauraient être sous-estimées, notamment pour le syndic.

La disposition de démolition.

L’un des changements les plus révolutionnaires que la loi dite du Waterzooi du 18 juin 2018 a apporté à la législation sur les appartements est que l’unanimité des copropriétaires n’est plus requise pour décider de de démolir et / ou de reconstruire complètement un immeuble à appartements.

Selon le nouvel article 577-7, §1, 2 ° h) du Code civil, une décision à la majorité des quatre cinquième de l’assemblée générale d’une association de copropriétaires était suffisante pour pouvoir décider de démolir et / ou reconstruire entièrement un immeuble à appartements pour des raisons d’hygiène, de sécurité ou lorsque le coût de la rénovation du bâtiment s’avérait excessif. En outre, cette disposition légale autorisait un copropriétaire à renoncer à son lot au profit des autres copropriétaires si sa valeur était inférieure à la part qu’il aurait à supporter dans le coût total des travaux, ce, le cas échéant, contre une indemnité déterminée d’un commun accord ou par le tribunal.

Malgré le consensus sur la nécessité d’une réglementation juridique spécifique en vue d’une approche efficace du parc immobilier vieillissant, cette nouvelle disposition légale a immédiatement généré beaucoup d’encre et des questions ont été soulevées sur son application pratique et sa faisabilité. Une demande d’annulation de cette disposition a également été soumise à la Cour constitutionnelle.

Arrêt d’annulation de la Cour Constitutionnelle du 20 février 2020.​

Après avoir examiné la clause de démolition de l’article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle a tout d’abord constaté que le législateur avait bien tenu compte de l’intérêt du copropriétaire qui s’oppose à la décision de démolir ou de reconstruire complètement l’immeuble.

Toutefois, l’impact significatif de cette clause sur le droit de propriété , laisse à penser qu’elle pourrait avoir pour conséquence d’obliger un copropriétaire à renoncer à son droit de propriété. Le législateur n’a pas, selon la Cour, prévu de garanties suffisantes pour parvenir à un juste équilibre entre l’intérêt public et la protection du droit à la jouissance intacte des biens.

Sur cette base, et comme cette disposition de la loi constituait un tout indissociable, la Cour constitutionnelle a finalement décidé de l’annuler.​

Il est donc désormais important d’évaluer correctement, les conséquences pratiques pour le syndic de l’annulation pure et simple de la disposition relative à la démolition, tant pour les futures décisions de démolir et / ou de reconstruire un immeuble à appartements que pour les décisions qui ont déjà été prises et à l’encontre desquelles une procédure peut être en cours ou au sujet de laquelle des arrêts peuvent déjà être intervenus.

Effets du jugement sur les décisions futures concernant la démolition et / ou la reconstruction d’un immeuble d’appartement pour des raisons d’hygiène ou de sécurité ou si le coût d’ajustement du bâtiment serait excessif.

En vertu de l’arrêt d’annulation de la Cour constitutionnelle, qui revêt l’autorité absolue depuis sa publication au Moniteur belge, on ne peut plus se baser sur la disposition annulée en matière de démolition et on ne peut plus être lié par celle-ci. En d’autres termes, la disposition de démolition annulée est supprimée de l’ordre juridique.

Par conséquent, la disposition annulée de la loi ne peut plus être appliquée, de sorte qu’il n’est plus possible pour l’assemblée générale d’une association de copropriétaires de statuer valablement à la majorité des quatre cinquième sur la démolition et / ou la reconstruction complète de l’immeuble, même si la démolition et / ou la reconstruction pouvaient être justifiées par des raisons d’hygiène ou de sécurité, ou un coût excessif.

Un syndic doit donc être conscient que désormais de telles décisions ne peuvent être légalement prises que dans les conditions qui s’appliquaient avant le 1er janvier 2019, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ayant introduit la clause annulée.

Etant donné que précédemment à l’introduction de la disposition sur la démolition annulée, la loi ne prévoyait pas de conditions explicites sur la question de savoir qui pouvait décider de la démolition et / ou de la reconstruction complète d’un immeuble à appartements, la majorité de la doctrine supposait que chaque copropriétaire concerné devait y consentir.

Un syndic consciencieux et prudent supposera donc à l’avenir que la décision de démolition et / ou de reconstruction d’un immeuble d’habitation requiert l’unanimité ou, en d’autres termes, l’accord de tous les copropriétaires.

Effets du jugement sur une décision déjà prise par l’assemblée générale à la majorité des quatre cinquieme pour demolir et / ou reconstruire un immeuble d’appartement pour des raisons d’hygiène ou de sécurité ou lorsque le coût est excessif.

L’annulation d’une disposition légale par la Cour constitutionnelle a non seulement des conséquences pour l’avenir, mais aussi pour le passé. En principe, l’annulation a un effet rétroactif, de sorte que la disposition qui a été annulée est réputée n’avoir jamais existé. C’est donc le cas pour la clause qui a été annulée ; la Cour constitutionnelle n’ayant pas fait usage de la possibilité de moduler dans le temps l’effet de l’arrêt de d’annulation du 20 février 2020.

Concrètement, l’effet rétroactif de l’arrêt d’annulation de la Cour constitutionnelle signifie que les actes fondés sur la disposition annulée n’ont plus de base juridique. De facto, cela signifie qu’une décision de démolir et / ou de reconstruire complètement un immeuble d’habitation qui a déjà été prise par l’assemblée générale d’une association de copropriétaires à la majorité des quatre cinquième perd sa base juridique et, de ce fait, peut être contestée par un copropriétaire.

Dans un tel cas, une approche ouverte en consensuelle du syndic est recommandée.​

Il est clair qu’un syndic prudent informera correctement et sans délai les copropriétaires des conséquences de l’arrêt de la Cour constitutionnelle énoncé ci-dessus concernant la décision prise par l’assemblée générale à la majorité des quatre cinquième de démolir et / ou de reconstruire complètement le bâtiment et qu’il soumettra à nouveau cette question aux copropriétaires avec l’exigence d’unanimité de tous les copropriétaires.

Tant que tous les copropriétaires n’ont pas accepté la démolition et / ou la reconstruction de l’immeuble, la prudence est de mise : le syndic ne doit donc pas entamer la phase de mise en oeuvre de la démolition ; au contraire, il doit s’abstenir de toute initiative en ce sens. Par ailleurs, si la mise en oeuvre a déjà débuté, il est conseillé au syndic, dans la mesure du possible, de suspendre temporairement les travaux de démolition.

Effets du jugement sur les décisions judiciaires rejetant le recours d’un copropriétaire contre le rejet de la demande en annulation d’une décision prise par l’assemblée générale à la majorite des quatre cinquième.

Enfin, la décision d’annulation de la Cour constitutionnelle peut même avoir des conséquences sur les décisions judiciaires déjà prises, et fondées sur l’application de la disposition annulée.​

En premier lieu, il va de soi qu’un copropriétaire pourrait introduire un recours contre un jugement par lequel le juge de paix s’opposerait à l’annulation d’une décision prise par l’assemblée générale à la majorité des quatre cinquième relative à la démolition et / ou la reconstruction complète de l’immeuble pour des raisons d’hygiène, de sécurité ou de coûts excessifs, à condition que ce jugement n’ait pas encore été signifié ou si le délai de recours d’un mois après sa signification n’est pas encore dépassé.

Pourtant, même si le délai d’appel est expiré et qu’un tel jugement est ainsi devenu définitif, l’exécution d’une décision prise par l’assemblée générale à la majorité des quatre cinquième de démolir et / ou reconstruire complètement un immeuble à appartements n’est pas sans risque pour le syndic. Après tout, dans les six mois suivant l’annonce de l’arrêt sur l’annulation de la Cour constitutionnelle, une demande d’annulation peut être déposée contre une décision judiciaire exécutoire fondée sur une disposition de droit annulée par la Cour constitutionnelle. (Article 16 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle)

Le syndic devra donc être conscient que même si un jugement définitif du juge de paix rejette le recours d’un copropriétaire contre une décision prise par l’assemblée générale à la majorité des quatre cinquième de démolir et / ou la reconstruction complète d’un immeuble à appartements, cela ne signifie pas une autorisation de commencer ou de poursuivre la mise en oeuvre de cette démolition et / ou reconstruction.

Au contraire, la plus grande prudence est de mise de la part du syndic jusqu’à l’intervention d’une nouvelle initiative législative à cet égard.

INFO

Frederiek Baudoncq
Liesbet Van Gysel
Association d’avocats Nelissen Grade
Louvain – Bruxelles – Waasmunster


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