Ventilation des charges de copropriété

1. L’assemblée générale peut-elle s’écarter des règles statutaires et selon quelles modalités ?

Dans une copropriété, on le sait, ce sont les statuts – normalement le Règlement de copropriété – qui déterminent la manière dont les charges sont réparties entre les copropriétaires. Ceci résulte de l’article 577-4, §1er du Code civil qui énonce que « le règlement de copropriété doit comprendre : (…) 2° les critères motivés et le mode de calcul de la répartition des charges (…) ».

On sait aussi que, par défaut, les dépenses communes sont réparties au prorata des quotités détenues par les copropriétaires mais que les promoteurs de la copropriété peuvent choisir de recourir au critère de l’utilité, pour ventiler les charges en fonction de l’utilité qu’elles présentent pour chacun des lots.

Il est également possible de combiner ces deux critères en faisant échapper certaines charges spécifiques – par exemple et classiquement les frais d’ascenseur – à la répartition générale. Tout ceci résulte de l’article 577-2, §9 du Code civil qui énonce, en son alinéa 3, que « les charges de cette copropriété, notamment les frais d’entretien, de réparation et de réfection, doivent être réparties en fonction de la valeur respective de chaque bien privatif, sauf si les parties décident de les répartir en proportion de l’utilité, pour chaque bien privatif, des biens et services communs donnant lieu à ces charges. Les parties peuvent également combiner les critères de valeur et d’utilité ».

Enfin, l’assemblée générale peut, au cours de la vie de la copropriété, modifier les critères de répartition pourvu qu’elle ne s’écarte pas du principe de base, impératif, selon lequel toute répartition autre que proportionnelle aux quotes-parts doit être motivée par le choix de tenir compte de l’utilité que la ou les charges considérées présentent pour les copropriétaires.

Une telle décision requiert une majorité de 80 % des voix des copropriétaires présents ou représentés (article 577–7, §1er, 2°, a du Code civil).

Sur ces prémices, un certain nombre de questions se posent alors. Primo, l’assemblée a-t-elle le pouvoir de s’écarter au coup par coup de la règle statutaire? Secundo, si elle le fait, une modification du Règlement de copropriété est-elle nécessaire pour que sa décision soit opposable aux tiers? Enfin, tertio, si le Règlement de copropriété est modifié, l’adaptation requiert-elle un acte authentique?

2. La réponse à la première question appelle une nuance.

Certes, il semble évident que l’assemblée générale peut décider que, par dérogation à la règle statutaire, telle dépense sera répartie de telle manière.

Par exemple, la charge d’un emprunt destiné à financer les travaux communs sera répartie entre les seuls copropriétaires qui y ont souscrit à l’exclusion de ceux qui ont choisi de financer leur quote-part sur fonds propres. Autre exemple : à l’occasion des travaux de rénovation de la toiture commune, il est décidé que l’isolation sera prise en charge par le seul propriétaire de l’appartement du dernier étage car c’est lui qui l’a demandée, ou encore : les honoraires du syndic relatifs à la gestion des travaux seront répartis par parts égales entre les copropriétaires; etc.

Cette évidence découle du principe exprimé par l’adage qui peut le plus peut le moins : si l’assemblée a le pouvoir de modifier la règle statutaire, alors peut-elle forcément y déroger une fois.

Son pouvoir n’est cependant pas illimité et sa décision de s’écarter de la règle statutaire doit rester conforme au principe de base rappelé ci-dessus: c’est le critère de l’utilité qui doit l’inspirer.

Si la décision de l’assemblée conduit à ventiler une dépense autrement qu’au prorata des quotes-parts ou de l’utilité qu’elle représente pour les lots, cette décision me paraît irrégulière et, donc, susceptible d’être annulée par le juge si un copropriétaire l’attaque dans le délai légal.

Il semble enfin logique de considérer que l’assemblée ne peut décider de s’écarter de la règle statutaire que par une décision votée à la majorité qualifiée de 80 % (4/5), soit la majorité requise pour modifier les statuts en ce qu’ils contiennent les règles de répartition des charges.

3. Modification du Règlement de copropriété

La décision de l’assemblée de répartir, en une occasion particulière, une dépense déterminée d’une manière différente de celle qui est prévue par les statuts ne constitue pas une modification de la règle statutaire et n’implique donc pas une modification du Règlement de copropriété. Du reste, il serait assez insensé de modifier les statuts pour ce qui n’est rien d’autre qu’un one-shot.

Se pose cependant alors la question de l’opposabilité de cette décision aux tiers. Deux types de tiers sont ici concernés : d’une part, les futurs copropriétaires, c’est-à-dire les personnes qui acquerront un lot postérieurement à la décision de l’assemblée générale ; d’autre part, les créanciers de la copropriété.

S’agissant des premiers, la décision leur sera opposable pour autant que la formalité prévue par la loi soit respectée. L’article 577–10, §4 du Code civil énonce que les décisions votées avant la cession du droit réel sont opposables au cessionnaire si elles lui ont été notifiées par le cédant ou, à défaut, par le syndic. Pour rappel, le syndic est tenu de procéder à la notification si le cédant le lui demande.

Toujours en vertu de la loi, le cédant est seul responsable envers la copropriété des conséquences dommageables découlant d’une absence de notification. Cependant, il semble évident que si le syndic a été prié de procéder à la notification et a omis de le faire, il engagera à son tour sa responsabilité envers le cédant. Prenons un exemple : l’assemblée générale décide de répartir les coûts liés au placement d’un nouvel ascenseur entre les seuls copropriétaires qui ont l’utilité de l’appareil, alors que le Règlement de copropriété ne comporte aucune règle spécifique de sorte que ces frais auraient normalement dû être répartis entre tous les copropriétaires au prorata des quotes-parts de chacun.

Il en résulte que, pour les appartements desservis par l’ascenseur, la charge financière des travaux est supérieure à ce qu’elle aurait été si la décision n’avait pas été prise. Or, voici que le propriétaire d’un de ces appartements le vend et la décision en question n’est pas notifiée à l’acheteur.

Par la suite, cet acheteur, nouveau copropriétaire, reçoit son décompte de charges et le conteste après avoir constaté que la dépense n’est pas répartie au prorata des quotes-parts. La décision de l’assemblée ne lui étant pas opposable, la copropriété n’aura pas la possibilité d’obtenir qu’il paye ce qui a été décidé mais uniquement ce que les statuts permettent. La différence devra être supportée par le vendeur qui pourra, le cas échéant, se retourner contre le syndic s’il avait demandé à celui-ci de procéder à la notification.

Notons que ce type d’incident reste extrêmement rare, non parce que les vendeurs n’omettraient guère de notifier aux acheteurs les décisions de l’assemblée – ils ne le font en vérité que fort rarement… – mais parce que, dans le cadre des formalités préalables à la vente, les intervenants professionnels – agents immobiliers, notaires – sont eux-mêmes tenus de communiquer à l’acquéreur les procès-verbaux des trois dernières années de sorte que, dans l’immense majorité des cas, celui-ci a été informé par ce biais de la décision de l’assemblée qui lui est par conséquent opposable.

S’agissant des autres tiers que les futurs copropriétaires, les décisions de l’assemblée ne leur sont pas opposables. Ils sont cependant a priori étrangers à la copropriété de sorte que les décisions de celle-ci ne les concernent pas et ne les intéressent pas davantage. En certaines circonstances, toutefois, les créanciers de la copropriété, quoique tiers à celle-ci, peuvent se trouver concernés.

On sait en effet que la paroi existant entre le patrimoine de l’association et celui des copropriétaires n’est pas totalement étanche: un créancier impayé de la copropriété a ainsi la possibilité de faire exécuter le jugement qu’il a obtenu contre celle-ci sur le patrimoine propre des copropriétaires.

Cette sorte de garantie ne s’analyse cependant pas en une solidarité et elle n’est que partielle puisque le créancier ne peut saisir chaque copropriétaire que « proportionnellement aux quotes-parts utilisées pour le vote conformément à l'article 577-6, § 6 » (article 577-5, § 4), autrement dit proportionnellement à la participation de ce copropriétaire à la dépense telle qu’elle est prévue par les statuts. Si la facture impayée à raison de laquelle la saisie est pratiquée est relative à une dépense que l’assemblée a décidé de répartir autrement que conformément au Règlement de copropriété, il existera donc une différence entre la participation d’un copropriétaire telle qu’elle a été décidée par l’assemblée et ce que ce copropriétaire devra payer au fournisseur qui aura mis en oeuvre le recours évoqué ci-dessus.

Si nous reprenons l’exemple évoqué plus haut, on constate ainsi qu’alors que le propriétaire de l’appartement du rez-de-chaussée a été exonéré par l’assemblée de toute participation à la dépense de remplacement de l’ascenseur, il restera tenu de payer à l’ascensoriste impayé sa quote-part statutaire de la dépense.

Notons cependant une fois encore que l’hypothèse reste rare en pratique.

4. Acte notarié et sa transcription

Enfin, une modification du Règlement de copropriété exige-t-elle un acte notarié?

Ici, la question ne concerne pas uniquement la modification des clés de répartition des charges mais, plus généralement, toute modification du règlement.

L’article 577-4, §1er du Code civil énonce que toute modification apportée aux statuts doit faire l’objet d’un acte authentique, ce qui semble répondre à la question. Pourtant, une nouvelle fois la nuance s’impose et on aurait tort de croire qu’une modification du Règlement de Copropriété n’aurait aucun effet à défaut d’être coulée dans un acte notarié. Il faut en effet rappeler que, fondamentalement, la question ne doit s’analyser qu’en termes d’opposabilité: le but de l’obligation légale énoncée ci-dessus est d’assurer l’opposabilité des statuts. La force juridique de la décision est quant à elle indépendante de cette opposabilité.​

La raison de cela est simple: les copropriétaires sont tenus par des décisions de l’assemblée générale dès l’instant où elles ont été votées.

A l’égard de ceux qui sont copropriétaires au moment où l’assemblée générale a décidé de modifier le Règlement de copropriété, ledit règlement doit ainsi être considéré comme aussitôt modifié, indépendamment de l’adaptation ultérieure des statuts par devant notaire.

Il n’en va cependant pas de même pour les tiers à l’égard desquels ne sont opposables que les actes ayant fait l’objet de la publicité requise – ici un acte notarié transcrit – ou qui leur ont été régulièrement notifiés.

C’est en particulier le cas des copropriétaires qui ont acquis leur lot postérieurement à des décisions par lesquelles l’assemblée a modifié les statuts. Pour ceux-là, on sait que la loi a mis en place un double système destiné à s’assurer qu’ils ont eu connaissance des décisions antérieures à leur achat: notification par le vendeur ou le cas échéant le syndic (article 577-10, §4) et communication des procès-verbaux des trois dernières années (article 577-11 §1er).

Or, si le mécanisme légal donne une relative assurance de ce que les acquéreurs sont informés des décisions votées au cours de trois années qui précèdent leur acquisition, cette certitude disparaît au-delà de cette période. Le registre des décisions constitue certes le support de communication des décisions anciennes mais encore faut-il qu’il ait été fidèlement tenu et correctement notifié. L’expérience, quant à elle, met en évidence une réalité: plus le temps passe et plus la transmission de l’information devient aléatoire.

De cela, il résulte qu’avec le temps, un nombre croissant de copropriétaires ne seront pas tenus par les décisions anciennes de l’assemblée et lorsque ces décisions ont eu pour objet de modifier les statuts, on devine sans peine les conflits inextricables qui en découleront, les règles applicables aux uns différant des règles applicables aux autres. Ainsi, la seule manière d’avoir la certitude que chaque nouveau propriétaire sera tenu par les mêmes règles que les autres, est de disposer de statuts à jour transcrits.

Aussi, pour en revenir à la question initiale, la rédaction d’un acte notarié est nécessaire afin d’assurer l’opposabilité de la modification aux futurs copropriétaires et, le cas échéant, aux autres tiers; elle n’est cependant pas une condition de l’efficacité de la décision par laquelle l’assemblée générale a décidé cette modification à l’égard de ceux à qui cette décision est opposable.

Enfin, rappelons cette évidence que l’acte authentique est sans utilité s’il n’est pas suivi de sa transcription car c’est cette dernière qui rend le contenu de l’acte opposable aux tiers. Passer un acte notarié sans le transcrire ensuite ne servira à rien d’autre qu’exposer la copropriété à des honoraires de tabellion. Il me semble donc important que le syndic s’assure auprès du notaire que la formalité sera faite.

INFO

Maître Eric RIQUIER
Avocat au Barreau de Bruxelles
Professeur à la Solvay Brussels School of Economics & Management (ULB)
JURIS AVOCATS
Rue Capitaine Crespel 2-4
1050 Bruxelles
T 02 503 36 10
riquier@juris.be

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