Nouvelles de france ... Paradoxe de la profession ; Digitalisation et « intuitu personae »

Face à la course à la digitalisation voulue par le législateur français pour moderniser la profession, « l’intuitu personae » du syndic reste le meilleur garant de sa pérennité.​

Le syndic est le mandataire de la collectivité des copropriétaires constituant un syndicat doté de la personnalité civile. Il agit « esqualité » en application « d’un contrat de mandat de syndic » type.​

En France le métier de syndic est réglementé par la loi Hoguet du 2 janvier 1970 sur l’exercice des professions immobilières, par la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété et son décret d’application du 17 mars 1967.​

Reprenant les dispositions supplétives de la loi du 28 juin 1938, la loi du 10 juillet 1965 prévoit à l’art 17, qui devient impératif, la désignation d’un syndic : « Les décisions du syndicat sont prises en assemblée générale des copropriétaires ; leur exécution est confiée à un syndic placé éventuellement sous le contrôle d’un conseil syndical ».​

A ce titre, le syndic doit accomplir tous les actes nécessaires à la bonne conservation de l’immeuble et au fonctionnement de ses équipements collectifs. Pour se faire, il doit acquérir des compétences juridiques, techniques, comptables auxquelles s’ajoute une dimension psychologique souvent non prise en compte.

La diversité et la complexité de son champs d’attribution font la richesse et l’intérêt de ce métier. Il s’agit de composantes différentes, d’une dualité opposée mais complémentaire. En d’autres termes dans la philosophie chinoise on parlerait de « yin et yang ».

Pourtant la profession est régulièrement décriée par les associations de consommateurs dont les griefs sont souvent repris à tort par les médias.​

Cette défiance a conduit le législateur à légiférer de façon effrénée allant jusqu’à former un millefeuille législatif. Au cours des seuls 25 dernières années, le nombre d’articles de la loi a été multiplié par cinq. La loi ALUR (Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové), publiée au Journal officiel le 26 mars 2014, a instauré de profonds changements dans le domaine de la gestion immobilière.

Elle s’est fixé quatre objectifs, à savoir :

  • Favoriser l’accès de tous à un logement digne et abordable.
  • Lutter contre l’habitat indigne et les copropriétés dégradées.
  • Améliorer la lisibilité et l’efficacité des politiques publiques du logement.​
  • Moderniser l’urbanisme dans une perspective de transition écologique des territoires.​

De manière plus pernicieuse, elle a introduit de nouvelles procédures de contrôle et de sanction du syndic en cas de carence ou inexécution.​

Il faut cependant lui reconnaitre la création d’un outil novateur et efficace ; le registre national des copropriétés. L’immatriculation constitue le point de pivot et de cohérence de l’ensemble des mesures.​

Si le constat a été fait que beaucoup de copropriétés gérées bénévolement n’ont pas été immatriculées à la date buttoir du 31 décembre 2018, il en est tout autre pour celles gérées par les professionnels.

Cet outil permet aux pouvoirs publics d’avoir une connaissance du parc immobilier et de sa typologie. Il leur permet surtout de s’immiscer dans la gestion privée et la trésorerie des syndicats.

La dernière loi de réforme ELAN (Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), du 23 novembre 2018, en plus des mesures d’application immédiates et celles fixées par décret, avait dans son art 215 autorisé le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans les conditions prévues à l’art 38 de la Constitution Française, « les mesures relevant du domaine de la loi visant, à compter du 1er juin 2020, à améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux, destinées à :

 redéfinir le champ d’application et adapter les dispositions de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, d’une part ;

 clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic ».

La première ordonnance du 30 octobre 2019 a été publié dans le délai imparti par la loi mais devra être ratifiée par le parlement, ce qui pourra conduire encore à quelques modifications.

Certains spécialistes du droit de la copropriété ont déjà donné leur ressenti ; Pour Daniel THOMASIN, Professeur émérite à l’université de Toulouse « la lecture de l’ordonnance laisse une impression de modernité, On garde ce qui est bon dans la loi du 10 juillet 1965 et on modifie ce qui pourrait être plus performant, ou plus populaire ».

Jean-Marc ROUX, Directeur scientifique des éditions EDILAIX donne son avis de la façon suivante : « Si le résultat est beaucoup plus modeste, il n’en reste pas moins intéressant car l’ordonnance du 30 octobre 2019 apporte certaines solutions pratiques et fait preuve assez souvent de pragmatisme ».

Sans faire un catalogue de l’ensemble des mesures, il est possible de qualifier les principales mesures qui vont impacter notre métier ;

  • Pour reprendre un autre qualificatif utilisé par le Professeur THOMASIN « cette ordonnance se veut libérale » avec un domaine d’application supplétif du statut dans certains cas particuliers. 
  • L’ordonnance se veut moderne avec l’incitation à la digitalisation et la dématérialisation. L’assemblée générale en visio-conférence et le vote par correspondance sont introduits. Le carnet numérique de l’immeuble devient obligatoire.
  • L’ordonnance se veut participative avec le renforcement des pouvoirs du conseil syndical, qui n’est toujours pas un sujet de droit n’ayant pas la personnalité morale. L’importance donné ici au conseil syndical nous amène à nous interroger sur la question de savoir s’il ne deviendrait pas un suppléant du syndic. 
  • L’ordonnance se veut incitative avec un ensemble de mesures favorisant l’entretien, l’amélioration des immeubles. La plus significative, pour contrecarrer le problème de l’absentéisme en assemblée générale, dans la mouvance de l’abaissement des majorités constitue une révolution. En effet la principale innovation consiste en une application généralisée de la passerelle de l’article 25-1. La formulation de l’art 25-1 ne laisse plus de doute : « lorsque l’assemblée générale des copropriétaires n’a pas décidé à la majorité des voix de tous les copropriétaires, en application de l’article 25 ou d’une autre disposition, mais que le projet a recueilli au moins le tiers de ces voix, la même assemblée se prononce à la majorité prévue à l’article 24 en procédant immédiatement à un second vote ». Les travaux comportant transformation, addition ou amélioration pourront donc en seconde lecture, dans de nombreux cas être adoptés à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou « ayant voté par correspondance ».
  • On peut simplement regretter l’abandon d’une disposition phare du projet d’ordonnance qui concernait le fonds travaux et le plan pluriannuel de travaux. Peut-être sera-t-elle réintroduite par la loi de ratification ? 
  • Enfin l’ordonnance se veut prospective avec la nouvelle possibilité offerte par l’article 18-1 A-II qui détermine les conditions dans lesquelles le syndic pourra conclure des contrats de prestations de services avec le syndicat des copropriétaires, lesquels n’entrent pas dans le champ du contrat type. Ces prestations diverses de type assistance à maîtrise d’ouvrage, service de conciergerie… devront être expressément autorisées par l’assemblée générale en dehors du contrat de syndic à la majorité simple de l’article 24.

On peut reprocher que les acteurs de la copropriété s’intéressent toujours à faire évoluer l’organisation existante sur le plan juridique, technique sans prendre en compte la dimension psychologique.

S’il est vrai que sur le plan du droit, le syndic est le mandataire du syndicat des copropriétaires, dans la pratique la volonté des copropriétaires serait qu’il soit aussi le mandataire des « propriétaires ». L’évolution législative a montré que nous sommes passés en France d’une copropriété par étage à une copropriété par appartement jusqu’à une copropriété par lot.

On en revient à la locution latine de « l’intuitu personae » signifiant « en fonction de la personne ». Les copropriétaires évaluent leur syndic sur des critères de rigueur, assiduité, continuité, confiance, écoute… La prise en compte des sentiments (inquiétude, jalousie, timidité…) est fondamentale.

Le syndic doit avoir la capacité de s’adapter et de modifier son comportement en fonction de la typologie de l’immeuble, des souhaits et moyens des copropriétaires. Il ne doit pas perdre de vue sa vocation première ; améliorer « la qualité de vie des copropriétaires ».

La digitalisation doit rester un moyen de rationaliser les process pour les rendre plus performant. En aucun cas elle ne doit se substituer à l’humain.​

Comment espérer améliorer cette « qualité de vie » sans établir une relation privilégiée seule source de confiance et de pérennité ?​

INFO

Agnès BREGER-MEDIONI
Syndic de copropriété
Expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris
Membre de la CNEC (Chambre nationale des experts en copropriété)
Membre du GRECCO (groupe de recherche en copropriété)

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