Dans le domaine de la copropriété et de la gestion des associations de copropriétaires, le rôle et les pouvoirs du syndic sont souvent sujets à débat. Cependant, un jugement récent a clarifié un aspect important de cette discussion : la capacité du syndic à choisir lui-même un courtier en assurances sans l'approbation explicite de l'assemblée générale.
Le rôle du syndic et de
l'Assemblée Générale
Comme il est bien connu, l'assemblée
générale est l'organe décisionnel suprême au
sein d'une association de copropriétaires. Elle
choisit elle-même les fournisseurs et prend
les décisions les plus importantes concernant
la gestion de l'immeuble. Le syndic, en sa
qualité de mandataire, doit exécuter ces
décisions comme un "bon père de famille".
Cela signifie qu'il doit défendre au mieux les
intérêts de l’ACP.
Ce principe s'applique également à la souscription de polices d'assurance incendie et autres assurances. Le syndic conclut ces polices avec la compagnie d'assurances au nom de l'association de copropriétaires. Cependant, la question se pose de savoir si le syndic peut désigner unilatéralement le courtier en assurances sans l'approbation de l'assemblée générale, étant donné que ce courtier est l'intermédiaire entre l'association de copropriétaires et la compagnie d'assurances, sans aucune relation contractuelle directe avec l'association de copropriétaires.
La désignation d'un courtier n'a en principe aucune incidence sur le contenu et les couvertures des polices. Bien que le courtier ne soit pas directement un fournisseur de l'association de copropriétaires, son rôle est crucial dans la relation contractuelle entre l'association de copropriétaires et la compagnie d'assurances. Certaines compagnies d'assurances travaillent donc exclusivement par l'intermédiaire de courtiers.
Jurisprudence : choisir soi-même
le courtier en assurances
Récemment, un membre de notre fédération
professionnelle de syndics (UDS), a gagné
une affaire en première instance et en appel
(2023 et 2024) qui jette un éclairage sur cette
question. L'affaire portait sur la question
de savoir si le syndic pouvait désigner un
courtier en assurances sans l'approbation
de l'assemblée générale. Le tribunal devaitse prononcer sur une prétendue faute
extracontractuelle.
Conformément à la loi sur la copropriété, le syndic avait conclu un accord écrit avec l'association de copropriétaires. Selon l'article 3.03 du contrat du syndic, le syndic a le droit de choisir lui-même un courtier en assurances, sauf décision contraire de l'assemblée générale ou en cas de conflit d'intérêts.
Dans ce cas précis, le syndic avait constaté de nombreuses irrégularités dans les actions du premier courtier en assurances. La confiance étant rompue, le syndic a urgemment fait appel à un autre courtier en assurances digne de foi pour reprendre le dossier.
Le tribunal a jugé que la désignation du courtier en assurances par le syndic était légitime. Il n'y avait aucune preuve que le précédent courtier avait été désigné par l'assemblée générale, ni qu'il y avait un conflit d'intérêts.
IPI
Dans le cadre de ce litige, une plainte a
également été déposée auprès de l’IPI,
qui a statué plus rapidement. L’IPI a jugé
que "l'attitude de l'appelant n'était pas
conforme à la déontologie, à l'honneur,
à la dignité et à la bonne réputation des
agents immobiliers, car une évaluation a
été effectuée sur le courtier en assurances
de l'association de copropriétaires sans
respecter les dispositions légales prescrites
du Code civil". Le syndic a finalement reçu un
avertissement.
L'institut n'a pas tenu compte des irrégularités de l’ancien courtier, ni de l'urgence de la situation ou de la rupture du lien de confiance ou de la clause du contrat entre les parties. Selon la Chambre Exécutive, le syndic aurait dû convoquer une assemblée générale extraordinaire.
Cette position mérite toutefois d'être nuancée. La convocation d'une assemblée générale extraordinaire est une prérogative importante du syndic. Ces assemblées peuvent être nécessaires pour prendre des décisions urgentes qui ne peuvent attendre l'assemblée générale annuelle. Voir Cc art. 3.87-§2 : "Le syndic tient une assemblée générale pendant la période fixée dans le règlement d'ordre intérieur ou chaque fois qu'une décision doit être prise d'urgence dans l'intérêt de la copropriété".
Cependant, la planification et l'organisation d'une assemblée générale extraordinaire exigent une quantité considérable de temps et d'efforts de la part du syndic. Cela inclut la préparation de l'ordre du jour, l'envoi des invitations et la compilation de la documentation pertinente. Surtout au cours du premier trimestre de l'année, lorsque de nombreuses assemblées générales ordinaires sont déjà prévues, la convocation de réunions supplémentaires peut entraîner une surcharge de travail pour le syndic et son équipe. Cette période est traditionnellement très chargée pour les syndics, puisque la plupart des assemblées générales ordinaires se tiennent au cours de ces mois pour discuter et approuver les rapports financiers de l'année précédente.
Chaque assemblée générale extraordinaire entraîne également des coûts supplémentaires pour l'association de copropriétaires. Ces coûts comprennent notamment la location de la salle de réunion, les frais administratifs, etc. La convocation fréquente d'assemblées générales extraordinaires peut donc alourdir inutilement la charge financière des copropriétaires.
Avant de convoquer une assemblée générale extraordinaire Il est donc important de se demander si les décisions à prendre sont vraiment urgentes, ou si elles peuvent être reportées à la prochaine assemblée générale ordinaire pour être discutées et/ou ratifiées. Car il n'est pas certain que tous les copropriétaires auraient apprécié les efforts du syndic, ni d’être convoqués à une nouvelle assemblée générale compte-tenu des coûts supplémentaires ; tout cela pour la désignation d'un nouveau courtier en assurances ? Un autre copropriétaire aurait très bien pu déposer une plainte contre le syndic en raison de trop nombreuses assemblées générales et de coûts trop élevés !
Des réunions trop fréquentes peuvent conduire à une lassitude décisionnelle parmi les copropriétaires, ce qui se traduit souvent par une baisse de la participation et de l'implication. Le manque de participation (quorum non atteint) oblige le syndic à convoquer une deuxième assemblée générale, lors de laquelle les décisions sont prises sans tenir compte du quorum (Cc art. 3.87-§5). Cela entraîne automatiquement une surcharge pour le syndic et remet en cause la représentativité et la cohésion de l'ACP. Ce désengagement peut donc nuire à l’ACP.
Il est donc important pour le syndic d’introduire dans son contrat quelques mandats importants, comme dans le cas présent la désignation par le syndic du courtier en assurances.
Quid de la liberté contractuelle ?
Comme chacun le sait, le principe de la
liberté contractuelle prévaut en Belgique,
tel qu'énoncé à l'article 1134 du Code civil,
qui stipule que "toutes les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites". Ce principe signifie
que les contrats légalement formés ont force
de loi entre les parties qui les ont conclus.
Concrètement, cela implique que les parties jouissent de la liberté de structurer leurs accords comme bon leur semble et de convenir mutuellement de toutes les dispositions. La seule restriction est que le contenu de l'accord ne doit être contraire ni aux dispositions légales impératives ni à l'ordre public. Ainsi, les parties peuvent adapter leurs accords et obligations sur mesure, tant que ceux-ci respectent les normes légales fondamentales et les principes éthiques qui protègent la société. L'accord entre le syndic et l'association de copropriétaires ne déroge pas à cette règle
Implications pour l'avenir
Le jugement du tribunal souligne
l'importance de clauses claires dans les
contrats de syndic. Les syndics devraient
explicitement inclure dans leur contrat avec
l'association de copropriétaires s'ils sont
ou non habilités à désigner eux-mêmes un
courtier en assurances.
En inscrivant cette prérogative dans le contrat, ils bénéficient de plus de liberté dans la gestion des polices d'assurance, ainsi que des avantages de travailler avec un courtier en assurances de leur choix.
Une gestion centralisée des dossiers d'assurance par un courtier de confiance peut conduire à un meilleur service et à une optimisation des coûts. Les courtiers en assurances qui connaissent bien les besoins spécifiques et les circonstances d'un syndic et d'une association de copropriétaires peuvent souvent opérer de manière plus efficace que lorsque ces tâches sont réparties entre plusieurs courtiers.
Conclusion
La récente décision du tribunal constitue
une directive importante pour les syndics.
Il est désormais clair que, sauf décision
contraire de l'Assemblée Générale, le syndic
a l'autorité de désigner lui-même un courtier
en assurances. En inscrivant explicitement
cette compétence dans le contrat de syndic,
les syndics pourront assurer une gestion des
assurances plus centralisée et efficace.
Dans un contexte où le métier de syndic est en pénurie, tout gain de temps contribue efficacement à l'organisation et à l'exécution des missions du syndic, sans pour autant compromettre les prérogatives de l'ACP.
Info
Mme Dominique Krickovic
Présidente de l’UDS (Union des
Syndics)
presidente@uniondessyndics.be
www.uniondessyndics.be