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La responsabilité extracontractuelle de l’ACP en 2025

Ces dernières années, une brise de réforme a profondément remanié le Code civil (ci-après : Cc). Le 1er janvier 2025 est entré en vigueur le « Livre 6 : Responsabilité extracontractuelle ». Cette nouvelle législation s’applique uniquement aux faits survenus à partir du passage à l’année 2025. L’ancien et le nouveau droit continueront donc à coexister quelque temps encore.

Avec l’introduction du Livre 6, les articles emblématiques 1382 à 1386 de l’ancien Code civil disparaissent. En leur lieu, le nouveau Livre 6 compte pas moins de 55 articles contenant principalement des dispositions supplétives, dont les parties peuvent dès lors s’écarter contractuellement. 

Cette article examine les conséquences de la réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle pour l’association des copropriétaires (ACP). 

À qui les règles s’appliquent-elles ? 
L’article 6.4 (nouveau) du Code civil précise que les règles s’appliquent tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales, alors que l’article 1382 de l’ancien Code civil ne parlait que de "l’acte de l’homme".

Les règles du nouveau droit de la responsabilité extracontractuelle s’appliquent donc non seulement à un copropriétaire individuel, même s’il agit en qualité de syndic, mais aussi aux associations de copropriétaires et même aux associations partielles, celles-ci étant considérées comme des personnes morales. 


Les aspects de la responsabilité extracontractuelle

A. Les faits pouvant engager la responsabilité de l’association des copropriétaires

A.1 La responsabilité pour faute 
Concernant la responsabilité pour faute, le législateur belge reste fidèle dans les articles 6.5 et 6.6 du Code civil aux principes de base posés il y a des années dans la disposition générale, concise et abstraite de l’article 1382 de l’ancien Code civil. 

Il n’est donc pas surprenant que l’article 6.6 du Code civil définisse la « faute » comme la violation soit d’une règle légale prescrivant ou interdisant un comportement, soit de la norme générale de prudence qui s’applique dans les rapports sociaux, ou en d’autres termes, dans la manière dont les gens interagissent dans la société. Il y a violation de cette norme lorsque quelqu’un agit autrement qu’une personne (physique ou morale) prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances. 

Exemples
Ainsi, l’association des copropriétaires peut être tenue responsable des dommages subis par un ou plusieurs copropriétaires individuels en raison de son absence d’intervention ferme à l’encontre d’un copropriétaire ou locataire qui, en infraction au règlement de copropriété, exerce une activité génératrice de nuisance au rez-de-chaussée de l’immeuble (comme un établissement horeca ou un lieu de prostitution). 

De même, l’association des copropriétaires peut être tenue responsable lorsqu’une obstruction des canalisations est causée dans certaines parties privatives en raison de l’absence d’entretien normal et en temps voulu ou de vidange des égouts communs. 


A 2. La responsabilité sans faute 
La responsabilité sans faute implique qu’une personne physique ou morale peut être tenue responsable sans qu’il soit nécessaire de démontrer une faute personnelle. Il existe plusieurs formes de cette responsabilité présumée irréfragable. 


A.2.1 La responsabilité du fait d’autrui

A.2.1.1 La responsabilité de l’employeur 
Un employeur est une personne (physique ou morale) qui exerce une autorité, une surveillance ou une direction sur une personne travaillant pour elle : l’employé. Il doit donc exister un lien de subordination. Sont notamment considérés comme employés : un concierge employé par l’association des copropriétaires par contrat de travail, ainsi qu’un homme à tout faire ou un agent d’entretien salarié de cette même association. En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l’employeur pour les fautes dommageables de son employé, l’article 6.14 du Code civil ne s’écarte apparemment pas du droit ancien. 

Toutefois, la principale condition, introduite par la jurisprudence dans l’ancien système, est désormais formellement reprise dans la loi : l’employé doit avoir causé le dommage pendant et à l’occasion de l’exécution de ses fonctions pour que l’employeur puisse être tenu responsable sans faute. Même des fautes ayant un lien indirect ou occasionnel avec les fonctions de l’employé peuvent dès lors engager la responsabilité de l’employeur. 

A.2.1.2 La responsabilité des organes d’administration 
En ce qui concerne la responsabilité des personnes morales du fait de leurs organes d’administration ou de leurs membres, le nouveau Livre 6 prévoit, à l’article 6.15 du Code civil, une évolution importante de la responsabilité sans faute. 

Dans l’ancien droit, les personnes morales ne pouvaient être tenues responsables des fautes dommageables de leurs organes que par le biais de la théorie dite de l’organe. Cette théorie considérait les actes de l’organe comme des actes de la personne morale elle-même, impliquant que cette dernière avait commis elle-même une faute. En outre, seules les fautes commises dans l’exercice des fonctions de l’organe engageaient la responsabilité de la personne morale. 

Le nouveau droit abandonne cette théorie.  Désormais, la responsabilité des personnes morales pour les fautes de leurs organes est alignée sur celle applicable aux fautes des employés.

On parle donc d’une responsabilité sans faute pour les actes d’autrui. Les personnes morales sont ainsi automatiquement responsables des dommages causés par leurs administrateurs, que ce soit en tant que collège (organe) ou individuellement. Cela vaut également pour les personnes qui agissent de fait comme administrateurs sans avoir été officiellement nommées. En revanche, cette responsabilité ne s’étend pas aux assemblées générales de membres, associés ou actionnaires, ni aux personnes qui y siègent. 

Élément essentiel : le nouveau droit prévoit de nouveau que l’acte dommageable doit avoir été commis pendant et à l’occasion de la fonction de l’organe ou de son membre. Il suffit donc que l’acte (fautif) soit lié à la fonction, sans qu’il soit requis que l’acte ait été accompli dans le cadre exact de cette fonction. Cela signifie qu’une personne morale peut être tenue responsable même si l’organe agit au-delà de son mandat ou en abuse. 

Par cette extension de la responsabilité sans faute, il n’y a donc plus de distinction entre les employés et les organes de l’association des copropriétaires. L’association des copropriétaires peut donc désormais être tenue responsable extracontractuellement (en tout ou en partie) lorsqu’un syndic, un ou plusieurs membres du conseil de copropriété ou un commissaire aux comptes cause un dommage à un tiers pendant ou à l’occasion de l’exercice de son mandat, y compris en cas de dépassement ou d’abus de mandat. 

Dans l’ancien droit, ce n’était pas possible. Lorsqu’ils dépassaient ou outrepassaient leur mandat, les actes illicites commis, notamment par le syndic, les membres du conseil de copropriété ou les commissaires aux comptes, n’étaient pas considérés comme ayant été posés au nom et pour le compte de l’association des copropriétaires. Ces personnes étaient donc tenues personnellement responsables. 

Exemple : 
Lors d’une de leurs réunions périodiques, les membres du conseil de copropriété décident unilatéralement de confier à un entrepreneur la mission d’installer une barrière levante à l’entrée de la cour intérieure commune. Après exécution des travaux, l’un des membres reçoit la facture et la transmet au syndic, qui refuse de la payer, affirmant ne pas avoir été informé, d’autant plus qu’aucun mandat spécifique n’avait été délivré par l’assemblée générale à ce sujet. 

En vertu de l’ancien droit de la responsabilité, l’entrepreneur ne pouvait, en principe, pas engager la responsabilité de l’association des copropriétaires en raison du dépassement de mandat des membres du conseil. Il devait dès lors introduire une action à titre personnel contre ces membres. Depuis le 1er janvier 2025, l’entrepreneur peut, au contraire, aussi diriger son action contre l’association des copropriétaires. 

A.2.1.3 L’abolition de l’immunité quasi absolue 
Dans ce contexte, il est essentiel de souligner que l’une des modifications majeures du nouveau droit réside dans l’abolition de l’immunité quasi-absolue des auxiliaires. 

Sous l’ancien droit, les auxiliaires (comme les salariés ou sous-traitants) ne pouvaient être tenus personnellement responsables que dans des cas exceptionnels pour les dommages qu’ils causaient. Ils bénéficiaient d’une protection importante contre les réclamations de personnes avec lesquelles ils n’avaient pas de contrat direct. En pratique, cela signifiait que seule la partie contractante principale (employeur ou donneur d’ordre) pouvait être poursuivie, mais pas l’auxiliaire lui-même. Avec la suppression de cette quasi-immunité, les victimes peuvent désormais introduire une action extracontractuelle directe contre un auxiliaire, même en l’absence de tout lien contractuel. 

Exemple : 
Une association de copropriétaires a demandé à un homme à tout faire, engagé par elle, d’intervenir sur un regard de contrôle situé dans les parties communes. L’ouvrier quitte temporairement les lieux pour aller acheter un paquet de cigares, sans remettre le couvercle sur le regard. L’endroit n’est pas non plus balisé, par exemple au moyen de cônes de signalisation. Un résident ne voit pas le trou ouvert et chute, se blessant grièvement. 


Tandis que, sous l’ancien droit, la victime – un tiers – ne pouvait, sauf exception, engager directement la responsabilité de l’ouvrier, cela est désormais possible pour tous les faits survenus à partir du 1er janvier 2025.

La victime peut choisir de tenir seulement l’association de copropriétaires, l’ouvrier, ou les deux ensemble (in solidum) responsables. Si elle choisit d’attaquer l’ouvrier, ce dernier peut encore contester l’action sur base des moyens de défense prévus à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (la responsabilité n’est admise qu’en cas de dol, de faute lourde, ou de faute légère habituelle), de son contrat de travail avec l’association ou de toute convention entre la victime et l’ACP. Toutefois, ces moyens de défense ne peuvent pas être invoqués lorsque le dommage résulte d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique, ou d’une faute intentionnelle. 

Dans une optique de prévention, il est vivement recommandé à l’association des copropriétaires, en tant qu’employeur, de limiter ou exclure contractuellement la responsabilité personnelle de ses employés. Il est également conseillé de souscrire une assurance adaptée. Enfin, dans les contrats conclus avec des tiers, l’ACP peut aussi stipuler des clauses concernant sa propre responsabilité. 

A.2.2 La responsabilité du fait des choses défectueuses 
Comme l’article 1384, alinéa premier, de l’ancien Code civil, l’article 6.16 du nouveau Code stipule que le gardien d’une chose est responsable sans faute des dommages causés par un défaut de cette chose. La nouvelle disposition précise les conditions de cette responsabilité (un gardien, une chose et un défaut) et souligne explicitement qu’il s’agit d’une présomption irréfragable. 

Les notions de « gardien » et de « chose » n’ont pas suscité beaucoup de controverses dans le passé. En revanche, la condition de « défaut » a donné lieu à de nombreuses interprétations divergentes. Plusieurs juridictions ont développé leur propre définition de ce qu’il convenait de considérer comme un défaut. 

Le nouveau droit met fin à cette incertitude. Au lieu de faire référence à une « caractéristique anormale », il introduit dès 2025 la notion d’attente légitime de sécurité. Une chose est donc considérée comme défectueuse si l’une de ses caractéristiques ne fournit pas la sécurité à laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre dans les circonstances données.

Grâce à ce champ d’application large de la responsabilité du fait des choses défectueuses, le législateur belge n’a pas jugé utile de maintenir une disposition spécifique concernant les dommages dus à l’effondrement d’un bâtiment (ancien article 1386 du Code civil). Cela met un terme aux débats relatifs à la possibilité de tenir une association de copropriétaires pour responsable dans un tel cas. L’article 6.16 du nouveau Code ne laisse désormais plus place au doute.​ 

Exemple : 
En vue de louer son appartement, un copropriétaire introduit une demande de certificat de conformité. La commune envoie un contrôleur du logement sur place, qui constate un grave problème de sécurité incendie dans les parties communes de l’immeuble. En raison du caractère défectueux de ces parties communes, qui ne garantissent pas la sécurité que l’on est en droit d’attendre dans les circonstances données, le contrôleur mentionne dans son rapport un défaut de catégorie 3. L’appartement reçoit alors le statut de " logement inhabitable ".

Lors de l’assemblée générale suivante, le problème est discuté sur la base de plusieurs devis, mais aucune décision n’est prise quant à l’exécution des travaux nécessaires. Tant que la situation n’est pas résolue, le copropriétaire ne peut pas mettre le bien en location. Il subit donc un préjudice pour lequel, indépendamment des recours prévus dans la loi sur la copropriété forcée des bâtiments et groupes de bâtiments, il peut engager la responsabilité extracontractuelle de l’association des copropriétaires pour cause de chose défectueuse. 


B. Le dommage

Contrairement à l’ancien droit, la notion de dommage occupe désormais une place centrale dans le nouveau Code. Pour la première fois, le terme « dommage » est défini dans la loi. L’article 6.24 du Code civil dispose que le dommage comprend les conséquences économiques et non économiques d’une atteinte à un intérêt personnel juridiquement protégé. Le législateur énumère également plusieurs types de dommages, et prévoit un encadrement de leur évaluation, afin que celle-ci ne dépende plus uniquement de l’appréciation du juge. 

Une illustration notable concerne les dommages aux biens. Selon l’article 6.38 du Code civil, le bien endommagé doit être réparé. Le responsable du dommage doit donc restaurer la chose dans son état initial ou prendre en charge les frais de réparation. Si le bien est irréparable ou détruit, le responsable doit alors supporter les frais de remplacement. Bien que cette disposition soit entrée en vigueur en 2025, cette pratique était déjà largement suivie auparavant. 

Il existait toutefois, depuis des années, une controverse quant à savoir si la vétusté d’un bien devait être prise en compte lors de l’évaluation du dommage. Fallait-il accorder à la victime la réparation avec des matériaux neufs ou la valeur à neuf en cas de destruction du bien, alors que les biens ou pièces de remplacement présentant le même niveau d’usure ne sont souvent plus disponibles ? 

En 2025, le législateur a tranché : en cas de réparation avec des pièces neuves, aucune déduction pour vétusté ne s’applique. En cas de remplacement d’un bien détruit, la vétusté est en revanche prise en compte. 

Exemple : 
À la suite de l’effondrement d’un mur situé à l’entrée du parking souterrain d’un immeuble à appartements, le véhicule vieux de 5 ans d’un résident est endommagé. Si les dégâts sont tels que le véhicule ne peut plus être réparé mais doit être remplacé, la vétusté sera déduite et la victime ne pourra pas réclamer la valeur d’un véhicule neuf. En revanche, si la voiture peut être réparée avec des pièces neuves – comme un nouveau pare-brise –, la victime a droit à une indemnisation correspondant à la valeur des pièces neuves, sans déduction pour usure. 


C. Le lien de causalité

Le législateur accorde également, pour la première fois, une attention explicite au lien de causalité entre la faute et le dommage, condition indispensable pour engager une responsabilité. 

La règle de base, énoncée à l’article 6.18 du Code civil, stipule qu’un fait ne peut être considéré comme la cause d’un dommage que s’il constitue une condition nécessaire à la survenance de ce dommage. Autrement dit, le dommage ne se serait pas produit sans ce fait. Cette règle s’applique tant à la responsabilité pour faute qu’à la responsabilité sans faute, et confirme le critère de la condition sine qua non déjà utilisé en pratique.

Mais que se passe-t-il lorsqu’il y a plusieurs responsables à l’origine du même dommage ? Le nouveau Code civil consacre désormais explicitement la responsabilité in solidum, une règle qui était déjà bien ancrée dans la jurisprudence. Cela signifie que la victime peut réclamer l’intégralité de l’indemnisation à un seul des responsables, sans devoir poursuivre chacun séparément. Cela facilite l’indemnisation. Ensuite, la partie ayant tout payé pourra se retourner contre les autres coresponsables pour récupérer leur part. 

Exemple : 
Si des rapports techniques révèlent que des infiltrations dans un appartement ne peuvent être définitivement stoppées que par le remplacement de la toiture de l’immeuble, le copropriétaire lésé peut engager la responsabilité in solidum de l’association des copropriétaires (pour cause de chose défectueuse) et du syndic (pour négligence dans la prise de mesures conservatoires, l’organisation d’une assemblée générale visant à approuver le remplacement de la toiture, ou l’exécution d’une décision en ce sens). 


Info

Me Astrid LUCKERMANS 
Avocat NELISSEN GRADE 

astrid.luckermans@nelissengrade.com 


Peter LEYSEELE 
conseiller (juridique) droit d'appartement
Expert judiciaire / mandataire judiciaire
Administrateur juridique

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